mercredi 14 mai 2008

Cotiser 41 ans, "there is no alternative ?"

Voilà. Xavier Bertrand l'a dit et l'impose (il négocie mais annonce déjà le mot de la fin...), il faudra désormais avoir cotisé 41 ans pour obtenir une retraite à pension complète. Un argument de bon sens semble présider à une telle évolution : l'espérance de vie ne cesse de s'allonger, alors pourquoi ne pas travailler plus longtemps ? Revient aussi l'éternelle comparaison avec nos voisins : si d'autres pays l'ont fait, pourquoi se priver de ce progrès ? Et enfin, l'incontournable depuis Margaret Thatcher : il n'y a pas d'autre solution, "there is no alternative". Vraiment ?

D'abord, il faut souligner les limites d'une telle évolution. En effet, telle que tourne aujourd'hui la société française, le passage à 41 ans risque surtout d'être une baisse des pensions. D'une part parce que, les études s'allongeant, on entre de plus en plus tard sur le marché du travail ; d'autre part, et surtout, parce que le taux "d'emploi des seniors" n'est aujourd'hui que de 38%, quand bien même l'âge légal de départ à la retraite est de 60 ans, après 40 années de cotisation. Ce qui signifie qu'il y a déjà aujourd'hui un nombre considérable de travailleurs qui atteindront la retraite sans pension complète. Avec l'évolution voulue par Xavier Bertrand, ils seront plus nombreux et leurs pensions seront moins complètes. Evidemment, le ministre n'oublie pas de dire que faire évoluer cette situation est une de ses priorités. Reste qu'il n'explique pas vraiment comment il le fera, et qu'en l'état actuel des choses, sa réforme sera avant tout celle d'une baisse des pensions. N'aurait-il pas d'abord dû faire augmenter le travail des seniors avant d'allonger la durée de cotisation ?

Autre point : cet allongement "brut" à 41 ans ne prend pas en compte une donnée essentielle : l'influence de la pénibilité de l'emploi sur l'espérance de vie. Aujourd'hui l'espérance de vie d'un ouvrier est, de mémoire, d'environ 10 ans plus courte que celle d'un cadre. Si on prend l'argument principal de notre ministre - on vit plus longtemps alors travaillons plus longtemps - l'ouvrier devrait cotiser quelques années de moins que son supérieur.

Un dernier argument, moins concret, plus philosophique peut également s'opposer à cet allongement. Le progrès scientifique avance depuis des siècles dans le sens d'une augmentation de la productivité. N'est-il pas alors concevable de vouloir profiter de nos vies plus longues pour travailler proportionnellement moins tout en produisant plus ? Surtout que l'urgence écologique devrait nous rappeler l'absurdité de toujours vouloir produire plus.

Bien. Mais si malgré tous ces défauts, allonger la durée de cotisation est la seule solution pour sauvegarder notre régime de retraite par répartition, comment s'y opposer ? There is no alternative ? Il semble pourtant que oui, d'autres solutions existent, qui font que cette réforme n'est pas LA solution. Pour atteindre l'équilibre, le système des retraites peut donc augmenter la durée de cotisation, on vient d'en voir les inconvénients, augmenter le taux de cotisation, avec des répercussions sur les salaires et sur l'emploi, ou diversifier les sources de revenus. Dans cette dernière optique je voudrais signaler plusieurs pistes.

Une piste régulièrement évoquée est celle proposée par l'éternel gauchiste qu'est Philippe Seguin, premier président de la Cour des Comptes. Il a en effet pondu un rapport dans lequel il estime qu'en taxant les revenus autres que les salaires, et notamment les stock-options, on pourrait en tirer 6 milliards d'euros.

De son côté, Benoît Hamon propose ce qu'il appelle une "cotisation sur la valeur ajoutée". Principe relativement simple : plutôt que de faire payer les cotisations patronales en fonction du nombre de salariés (ce qui encourage par exemple à remplacer des emplois par des machines), il s'agirait de les calculer en fonction des bénéfices de l'entreprise.

Il existe encore près de 30 milliards d'euros d'exonération de cotisation sociale en faveur des employeurs. Certaines ont des effets bénéfiques sur l'emploi ou autre. D'autres moins. Faisons-en un inventaire exhaustif pour évaluer celles qui n'ont sont pas réellement utiles... et supprimons les.

Dernière piste que je soumets pour l'instant : les Français ont placé en gros 1000 milliards d'euros en assurance-vie. 1000 milliards. On en déplace 1% vers les retraites, ça fait 10 milliards... en combinant avec les pistes proposées au dessus, c'est bien plus que ce qu'il faut.

Bref. Dans l'absolu, je ne suis pas encore fixé sur l'idée de savoir si l'allongement de la vie doit se traduire par un allongement du travail. Même si je suis sensible à l'idée qu'on n'est pas sur terre que pour travailler. Mais ce qui est certain, c'est qu'une telle réforme ne devrait pas avoir lieu avant qu'on ait réglé la question du chômage des seniors et elle ne doit pas être conçue de manière uniforme, sans prendre en compte la diversité des situations. Et avant d'en arriver là, je crois qu'il y a un certain nombre de pistes à exploiter. J'en ai cité quelques unes, il y en a sûrement d'autres... Il n'y a pas UNE solution miracle, mais plusieurs ressources à exploiter conjointement.


Colin

1 commentaire:

omelette16oeufs a dit…

L'affaire des 41 ans est facilement à "vendre" parce qu'elle paraît si logique. Facile de dire en effet que "There is no alternative".

La vraie question, ou l'une des vraies questions, pourrait être : "A-t-on envie de créer une nouvelle catégorie de précaires/chômeurs/pauvres d'ex-travailleurs en fin de cinquantaine qui attendent leur retraites diminuées?"