samedi 5 avril 2008

Reprendre le chemin de l’unité de la gauche

La gauche l’a emporté mais c’est surtout la droite qui a été défaite: tel est l’enseignement principal des dernières élections municipales qui pourraient se révéler un piège pour la gauche si elle n’est pas capable de l’apprécier avec lucidité. Une cohabitation d’un nouveau type risque de s’installer: à la droite le pouvoir d’Etat, à la gauche le pouvoir local. Cette division du travail politique serait d’autant plus funeste que les élus des partis de gauche ont souvent renoncé à toute ambition de transformation sociale au niveau local.

Le clivage gauche/droite est peu lisible sur le plan local. Le dit "socialisme municipal" s’apparente ainsi avant tout à une entreprise de conquête et de maintien de mandats électoraux. Les puissantes bases locales du PS ne constituaient plus vraiment des bases politiques de reconstruction de la gauche. Si le PS a cherché à conférer au scrutin une dimension nationale, il a laissé une très grande autonomie au local dans la définition des stratégies et le périmètre des alliances légitimes. Aucune règle nationale n’a véritablement prévalu. L’alliance avec le MoDem a pu être conclue dès le premier tour à Montpellier, Dijon ou Roubaix en fonction de "contextes locaux". Le MoDem est parvenu ainsi à ébranler des alliances intangibles depuis trente ans et la stratégie d’union de la gauche décidée dans les années 1970 qui avait mis un terme aux alliances socialo-centristes. Un certain parfum de Quatrième République a plané sur ces élections municipales marquées par des alliances à géométrie variable. L’union de la gauche a pourtant encore démontré dans de nombreuses villes son efficacité. Des rapprochements avec l’extrême gauche ont pu s’opérer ici et là.

Malgré les apparences, une crise historique pour les forces de gauche.

Le retournement de la situation politique, aussi fragile que trompeur, ne saurait occulter la crise historique que traversent les forces de gauche. La tentation est grande pour la gauche de se contenter d’engranger les dernières victoires et de se dérober, par facilité, aux défis redoutables qu’elle doit relever. Faut-il le rappeler? La gauche a réalisé un des scores les plus faibles de son histoire au premier tour de la dernière élection présidentielle, il y a moins d’un an.

Alors que la société se durcit et les inégalités s’exacerbent, la droite a remporté une victoire idéologique par-delà l’adhésion à un homme. Cette défaite a ouvert une fenêtre d’opportunité pour dépasser les routines organisationnelles, rouvrir les possibles, redéfinir le pensable, inventer l’avenir. Elle peut vite se refermer si des perspectives ambitieuses ne sont pas tracées. Le temps presse. La logique de l’inertie ne saurait reprendre ses droits. Il faut un grand dessein, une nouvelle frontière pour la gauche. La constitution d’un parti de la gauche unifiée constitue un horizon mobilisateur même si cette perspective peut sembler aujourd’hui à bien des égards improbable. C’est le sens de l’appel à un parti de la gauche, lancé par Marie-Noëlle Lienemann et Paul Quilès qui constitue une initiative à la hauteur des enjeux.

L’émiettement de la gauche est aujourd’hui un des ressorts de sa faiblesse.

Ses frontières organisationnelles ne recouvrent plus ses divergences idéologiques. Cette atomisation est alimentée par une présidentialisation mortifère qui n’épargne aucune organisation. L’électoralisme, encouragé par le financement public des partis, ne gangrène pas seulement le parti socialiste mais la gauche dans son ensemble et l’extrême gauche en particulier qui cultive son petit segment électoral. In fine, il ne conduit qu’à la défaite. Tous les partis sont aujourd’hui à bout de souffle. La gauche du PS, plombée par des logiques de boutiques et la personnalisation des enjeux, ne peut peser. La LCR s’est lancée dans une refondation solitaire, tirant argument des ambiguïtés du PC, écartelé quant à lui entre la nécessité de préserver son implantation locale et sa proximité idéologique avec l’anti-libéralisme.

Le PS dont personne ne croit en la rénovation a imposé son leadership mais il est trop faible à lui seul. Il prend prétexte de l’affaiblissement de la gauche pour séduire le centre. L’extrême gauche est ainsi l’allié objectif des "modernisateurs" socialistes. La dérive droitière du PS conforte en retour la radicalité politique. Les Verts sont dans l’impasse et ne tirent aucun profit de la nouvelle prise de conscience écologique. Ces contradictions font système: elles ne peuvent être dépassées qu’en relançant une dynamique unitaire qui a toujours été historiquement un talisman pour la victoire électorale de la gauche et les avancées sociales.

Quatre fausses-solutions sont avancées ici et là pour surmonter la division de la gauche:

  • la création d’un parti « démocrate » à l’américaine: ce parti de "supporters" ne serait pas en situation d’engager la bataille des idées;
    des pseudo-rénovations des partis de gauche, chacun de son côté: ces replâtrages sont voués à l’échec (les militants n’y croient même plus) et répondent à des logiques de conservation, de reproduction d’appareil;
  • un parti "à gauche de la gauche" à l’image du parti allemand Die Linke: il aurait le mérite de clarifier des divergences idéologiques réelles. Mais c’est avec le maintien durable de la droite au pouvoir (compte-tenu de la spécificité des règles institutionnelles françaises) que la gauche doit composer si elle veut gagner et mettre un terme aux dégâts du libéralisme sauvage de la droite;
  • un scénario à « l’italienne » de primaires pour élargir la base sociale des partis: c’est une solution au rabais qui entérine la division de la gauche et ne répond pas à la faiblesse de ses organisations.

Contre ces illusions, il faut affirmer que la construction d’un grand parti est la condition de la victoire de la gauche. Son avenir passe par la réhabilitation et la modernisation de la forme partisane. Dans la "démocratie du public" et la société médiatique nouvelles, elle doit repenser le parti comme acteur de transformation sociale, comme médiateur entre le social et le champ politique institutionnel. Il faut sortir par le haut de la crise que traverse la gauche et parvenir à sa réorganisation institutionnelle en commençant par identifier les vraies divergences qui la divisent. Contre toute fatalité, la voie de l’unité qui n’est certes pas la plus aisée s’impose comme le choix de la volonté.

source : Rémi Lefebvre.Professeur de Sciences Politiques à l'Université Lille II

13 commentaires:

Anonyme a dit…

L’auteur utilise deux fois au moins l’expression « transformation sociale », sans la définir. De même « la gauche ». Et il affirme que personne ne croit à la rénovation du PS: qu’en sait-il ?

Anonyme a dit…

Melchior, Rémi est un bon copain... et j'avoue pour ma part avoir bondi sur son expression dérive droitière... je vais d'ailleurs lui répondre :-)

Melchior Griset-Labûche a dit…

Il faudrait qu'il développe:
"médiateur entre le social et le champ politique institutionnel" (en donnant son avis sur la contribution de Colin sur ce sujet).

Anonyme a dit…

@ marc

Si Rémi Léfevre est un bon copain tu oublies qu'il très proche de Hammon, Lienemann et autres dans le genre avec lesquels il collabore directement.

La frange la plus à gauche de notre parti. Celle qui se croit détenir le brevet du socialme et de la gauche. Celle toujours disposée à accuser les autres "dérive droitière". La petite musique habituelle...Ridicule !

Et d'ailleurs j'ai toujours trouvé intéllectuellement malhonnête que Rémi Léfevre qu'on présente comme "spécialiste du PS" soit régulièrement interviewé dans les journaux écrits ou qu'il publie des tribunes (dans Le Monde, Libération, etc.)sans annoncer clairement la couleur...

Mais pas la magie pour déviner avec quel genre de responsbles socialistes il est le plus critique.

Melchior Griset-Labûche a dit…

à Anonyme
Bon copain ou pas, je crois qu'il faut examiner ce qu'il dit, d'abord. Toi-même j'aimerais connaître ta définition de "la gauche". Pour ma part je ne vois vraiment quoi en quoi Hamon et Lienemann sont plus à gauche que SR. A moins d'adopter la conception besançonnienne de l'axe gauche-droite, ce que je me refuse à faire.

Anonyme a dit…

@Anonyme
non je ne n'oublie pas qu'il est proche de MNL et Hammon... est alors ? je ne partage pas son choix mais il est respectable tout comme le mien.
Et cependant, oui j'ai pas mal de convergences de vues sur l'etat du PS aujourd'hui. une fois lme constat partagé oui... les options diverges... c'est le débat.
Par contre comme melchior plus à gauche plus à droite...Non...ça je n'accepte pas je suis socialiste

Cyril C. a dit…

Je n'ose imaginer qu'un socialiste, Rémi Lefebvre en l'occurence, puisse être hypocrite :)

Sérieusement, s'il fallait en retirer quelque chose de son constat, somme toute assez pertinent, ce serait, d'après moi, que les idées de gauche doivent primer sur le reste dans le sens où elles guident l'action, tout en considérant que l'électorat est capable de réfléchir. (Même si j'ai des réserves sur les capacités de discernement de l'électorat. Et c'est une hypothèse forte de son discours.) L'idéal socialiste des Lumières demeure donc. Mais il n'est pas le seul à faire ce constat.

En cela, les deux courants dominant actuellement le PS ne sont pas objectivement disqualifiés par son analyse. Reste à mettre en place une programme idéologique et cohérent, réaliste et tranché, apte à attirer les électeurs de la gauche et la droite du PS.

Je tempèrerais donc en mettant en garde. Certes les idées doivent primer mais que cela ne nous empêche pas d'être de notre temps. D'utiliser tous les outils et moyens à notre disposition, sans conservatisme et en plus d'un fort militantisme de terrain, pour diffuser nos idées dans l'opinion.

Anonyme a dit…

Les minoritaires du Parti, situés à la gauche du PS, comme Mélenchon, Liennemann, partisans de l''autre gauche, sont très actifs sur les blogs, pour ne pas être dissous, leur regard est tourné vers " gauche avenir ", résurgence de " l'union de la gauche " du siècle dernier ! ce sont des obstacles à la modernisation du parti, à son ouverture au monde actuel

Cyril C. a dit…

Les Guédistes contre les Jaurésiens en somme !

Melchior Griset-Labûche a dit…

À Cyril C (et aux autres)
Oui, mais pas seulement. Jaurès aurait été le premier à dire qu’il y avait des choses à prendre chez Guesde. De même, le camarade Carambar peut laisser échapper une remarque judicieuse. Evitons de confondre la préparation d’un congrès avec un jeu de rôles (Jaurès contre Guesde, Condorcet contre Robespierre, Ségolène et les Trois Ours).

Je propose qu’on fouille un peu cette idée de « transformation sociale ». Révolution ? Réformes de structure ? Aménagements du monde des marchés et des dispositifs de solidarité ?

Quant à la latéralisation politique (« t’es d’droite ! - c’est çui qui l’dit qui l’est ! », je pense y revenir bientôt, ici ou ailleurs, à partir des « 100% à gauche de l’excellent Besancenot. J’n ai déjà dit deux mots l’an dernier.

Cyril C. a dit…

Meclhior, je suis tout à fait d'accord avec toi. Notamment sur la nécessité de nuancer et rassembler. Cela dit, pour ma remarque clivante, je ne fais que donner mon constat quant aux procès d'intention faits effectivement à Ségolène. Je fais bien spur partie de ceux qui estiment qu'il nous faut transcender le clivage socialo-marxistes contre socialo-jaurésiens.

benjii a dit…

Marc, tu as des potes parmi mes profs ?!
C'est la classe.
Sinon, vous avez quoi contre benoit Hammon ?

Il me semble qu'il a claqué la porte du secrétariat du PS a l'Europe au moment du congrès visant a ratifier le traité de Lisbonne, en désaccord avec la stratégie du parti, qui était (il faut bien le dire) lamentablement stupide. C'est donc un bon gars, non ?

Anonyme a dit…

à Benjii
Je ne pense pas qu'on ait ici quelque chose contre Benoît Hamon, c'est un dirigeant talentueux et dynamique. Cela dit on n'est pas forcé d'être d'accord avec tout ce qu'il dit et fait. On va voir s'il s'agrège au petit train TSS ou s'il s'en tient à l'écart. Pour ma part je ne crois pas que continuer la petite guerre du oui ou non à la Constitution européenne soit très productif. (L'un des mérites de SR est d'avoir su fédérer des gens des deux bords).

A signaler, dans la revue Futuribles d'avril, n°340, un article de Toulemon sur le Traité de Lisbonne.

A signaler aussi le "think tank" que Benoît Hamon anime avec Noël Mamère: La Forge, souvent intéressant.