(la publication de ce texte de Pierre Larrouturou n'est en aucun cas une prise de position en sa faveur, il constitue néanmoins un apport de poids au débat économique propre au PS pour ce congrès)
"Je veux développer le crédit hypothécaire en France. C’est ce qui a permis de soutenir la croissance aux Etats-Unis", affirmait Nicolas Sarkozy, fin 2006, quand il expliquait sa "nouvelle" stratégie économique (Les Echos, 9 novembre 2006). Qu’en est-il aujourd’hui? Alors que 1 300 000 familles ont été expulsées l’an dernier de leur logement pour cause de surendettement et que l’ancien président de la réserve fédérale, Alan Greenspan, vient d’avouer que les Etats-Unis sont sans doute entrés dans "la crise la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale", notre nouveau président veut-il encore "développer le crédit hypothécaire"?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Nicolas Sarkozy n’a pas franchement anticipé la crise qui fait trembler aujourd’hui tous les marchés financiers. En 2006, pourtant, de nombreux économistes tiraient déjà la sonnette d’alarme: le 31 août, dans Le Monde, Nouriel Roubini, proche de Bill Clinton, affirmait que "la probabilité d’une récession de l’économie américaine en 2007 est désormais de 70%". Et moi-même, dans Le Monde du 14 mai 2005, j’indiquais déjà que "en 1929, quand éclata la dernière grande crise du capitalisme, la dette totale américaine (publique et privée) représentait 140% du PIB. Elle en représente aujourd'hui 210%".
Accroître la "transparence" des marchés financiers ne résoudra pas la crise
Il est donc faux de dire que la crise n’était pas prévisible. Et il est faux aussi d’affirmer, comme le fait Nicolas Sarkozy, qu’on pourrait sortir de la crise en se contentant d’accroître la "transparence" des marchés financiers. Le problème est bien plus grave et bien plus profond que ne le dit le président de la République. Il est fondamental de comprendre la vraie nature de la crise, sinon le remède risque fort d’aggraver le mal.
C’est en prenant du recul, et en analysant les statistiques données par la Réserve fédérale pour les cinquante dernières années qu’on comprend les déterminants réels de la crise.
Entre 1950 et 1980, le ratio dette/PIB était parfaitement stable aux Etats-Unis. C’est seulement depuis le début des années 1980 que la dette augmente. Jusque là, les Etats-Unis fonctionnaient avec un compromis "fordiste": en 1917, Henry Ford avait profondément réorganisé ses usines et doublé la productivité de ses chaînes. Pour doubler ses ventes, il s’était assez vite convaincu qu’il fallait augmenter les salaires des ouvriers pour qu’ils puissent eux-mêmes acheter des voitures. Il avait tenté de faire partager son analyse aux autres grands patrons américains mais bien peu l’avaient suivi: la plupart voulaient garder pour eux et pour leurs actionnaires les profits réalisés grâce aux nouvelles méthodes de travail. Ce partage déséquilibré des fruits de la productivité fut une des causes majeures de la crise de 1929.
Après guerre, pour éviter qu’une telle crise ne se reproduise, on mit en place des règles du jeu qui garantissaient une progression régulière des salaires. Ces règles "fordistes" furent à l’origine des Trente glorieuses, ces trente années de forte croissance que connurent les Etats-Unis et l’Europe…
Briser le mythe du plein emploi américain
Mais, en 1981, Ronald Reagan arrive à la Maison blanche. C’est à partir de là que la dette augmente: très vite, les libéraux baissent les impôts sur les plus riches, ce qui favorise la dette publique. Mais, plus fondamentalement, la dette augmente parce que la précarisation du marché du travail amène progressivement à une baisse de la part des salaires dans le PIB et qu’un nombre croissant de ménages américains sont obligés de s’endetter pour maintenir un haut niveau de consommation.
Durant la dernière campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a souvent mis en avant le "plein-emploi américain". En réalité, les Etats-Unis sont très loin du plein emploi. Si l’on en croit le dernier rapport économique publié par la Maison blanche, il y a tellement de petits boulots aux Etats-Unis que la durée réelle moyenne du travail est tombée à 33,7 heures. Si la durée moyenne (sans compter les chômeurs) tombe à 33,7 heures alors que ceux qui ont un emploi "normal" sont toujours à 40 heures, c’est que des millions de salariés ne font que 10 ou 15 heures par semaine.
Ce partage du travail qui ne dit pas son nom, amène à un partage des revenus de plus en plus inégalitaire: "Aux Etats-Unis, la part des salaires dans le revenu national atteint son plus bas niveau depuis 1929", notaient Les Echos du 9 octobre 2006.
Et une étude de BNP Paribas montre que sur les huit dernières années, "seuls les 5% d’Américains les plus riches ont vu leurs revenus réels augmenter". Les autres 95% ont vu leurs revenus stagner ou diminuer… Mais ces 5% les plus riches ne peuvent pas faire vingt repas par jour. Un tel niveau d’inégalités devrait donc fortement ralentir la croissance. Si la consommation continue d’augmenter, c’est uniquement parce que l’on pousse les classes moyennes et les pauvres à s’endetter chaque année un peu plus.
La dette au cœur du problème
On voit ici que la question de la dette n’est pas une question annexe. Ce n’est pas un "incident de parcours" dû à l’inconscience de quelques traders isolés. Pour garantir aux actionnaires des bénéfices colossaux tout en assurant un haut niveau de consommation de l’ensemble de la population, le néo-libéralisme a structurellement besoin d’un endettement croissant.
En France, en un quart de siècle, la part des salaires dans le PIB a diminué de 11%. Et l’évolution est la même, peu ou prou, dans l’ensemble des pays occidentaux. Partout la peur du chômage déséquilibre la négociation sur les salaires: "Si tu n’es pas content, tu peux aller voir ailleurs."
Même le FMI, réputé très libéral, le constate dans son dernier rapport annuel: "Au cours des deux dernières décennies, il y a eu un déclin continu de la part du revenu qui va au travail. La baisse est très massive et atteint 10% en Europe et au Japon." Sans croissance de la dette, cette baisse relative des salaires aurait dû fortement ralentir la consommation.
Comme l’explique Patrick Artus, directeur des études de la CDC Ixis, "dans la zone euro, sur les dix dernières années, la dette privée est passée de 75% à 145% du PIB. Sans la hausse de la dette des ménages, la croissance de la zone euro serait nulle depuis 2002." Et hors zone euro, la situation n’est guère plus réjouissante: en Grande-Bretagne, la dette des ménages dépasse les 160% du revenu disponible. Une étude récente de Jean-Luc Buchalet et Pierre Sabatier montre que, sans l’augmentation de la dette des ménages, la Grande-Bretagne serait en récession depuis 2002!
Voilà pourquoi ce que propose Nicolas Sarkozy, "mettre plus de transparence" sur les marchés financiers, n’est pas du tout suffisant. Voilà pourquoi aussi, si l’on en reste à une approche de bon sens ("Puisqu’il y a trop de dette, fermons le robinet de la dette!"), on risque de précipiter l’ensemble des pays occidentaux dans la récession.
Il faut aller plus loin et s’attaquer aux racines de la crise. C’est à cause du chômage et de la précarité que la part des salaires a tant diminué. C’est à cause du chômage et de la précarité que nos économies ont tant besoin de dette. C’est seulement en s’attaquant radicalement au chômage et à la précarité, en donnant au plus grand nombre un vrai emploi et une vraie capacité de négocier des augmentations de salaire que l’on pourra sortir de la crise.
L'urgence de définir de nouveaux outils de régulation
Hélas, dix mois après son arrivée au pouvoir, tout le monde a compris que Nicolas Sarkozy ne fera rien d’utile dans ce domaine. Il ne se passe pas une semaine sans qu’il annonce un Grenelle, un Grand Plan ou une Grande Mobilisation… mais contre le chômage et la précarité, il n’a encore rien annoncé! Absolument rien. C’est la première fois depuis trente ans qu’une nouvelle équipe arrive au pouvoir en France et manifeste autant de désinvolture face au chômage et à la précarité!
Vu la gravité de la situation, il y a urgence à remettre la gauche au travail. Vu l’importance des déséquilibres accumulés, une réponse nationale ne peut pas suffire. C’est l’ensemble de la gauche européenne qu’il faut rassembler et mettre au travail pour définir, très concrètement, de nouveaux outils de régulation.
Rassembler la gauche et la mettre au travail, tel est l’objectif de la pétition que nous venons de lancer avec dix-huit parlementaires, des élus locaux et des militants issus de toutes les tendances du PS.
Nous déposerons cette pétition lors du Conseil national du 25 mars. Vu les statuts du PS, si notre pétition recueille 5 000 signatures de militants PS ou 50 000 signatures de citoyens non-PS, la direction sera obligée de nous écouter.
Il ne nous manque plus que quelques centaines de signatures pour parvenir à nous faire entendre. Que vous soyez au PS ou que vous n’y soyez pas, si vous voulez que la gauche se mette au travail, signez cet appel et faites le signer par vos amis.
L'appel est sur http://www.nouvellegauche.fr/.
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